La poésie Kabyle
Poésie
de la guerre et de l'amour - La Poésie Kabyle : Les plus anciennes
transcriptions de poèmes kabyles en caractères latins remontent au
début du siècle dernier, à 1829 plus exactement, et sont dues à
l'Américain W. Hodgson. Elles font partie de sa Collection of Berber
Songs and Tales, dont le manuscrit original se trouve à la bibliothèque
de la Société asiatique de Paris.
Ce n'est que trente-huit ans
plus tard, en 1867, qu'Adolphe Hanoteau, alors colonel commandant la
place de Fort-l'Empereur, publiait ses Poésies populaires de la Kabylie
du Djurdjura, texte et traduction. En 1899, J. D. Luciani faisait
paraître un recueil de poèmes historiques d'Ismaïl Azikkiou. Enfin, en
1904, et pour la première fois semble-t-il, un Kabyle, Si Amar ou Saïd
dit Boulifa, offrait au public un Recueil de poésies kabyles qui allait
devenir le livre de poésie par excellence, à cause sans doute de la
place faite au plus grand poète kabyle connu, Si Mohand ou M'Hand, mort
en 1906. Depuis, il n'yeut plus de publication notable.
Les
quelques rares personnes qui s'intéressèrent à la poésie kabyle se
contentèrent d'offrir des traductions sans jamais les faire accompagner
du texte dont ils ne possédaient pas les... manuscrits. Ce fut le cas
de Jean Amrouche en 1939 et de Pierre Savignac en 1964.
POESIE ET CONTE KABYLES : de Si Mohand à Slimane Azem
Il
n'existe pas de mot kabyle pour désigner exclusivement la poésie.
Chaque genre a son nom propre. Le poème épique est dit taqsit
(histoire, geste), le poème lyrique asfrou (élucidation) et la pièce
légère izli (courant d'eau). Cependant, le mot asfrou tend de plus en
plus à désigner le poème sans distinction de genre et, au pluriel,
isfra, la poésie en général. Cette spécialisation est confirmée par
l'usage que les poètes épiques faisaient du même mot dans leurs exordes
qui débutent parfois par ce vers : « A yikhf iou refd asfrou » (« Ô ma
tête, fais jaillir un poème »). Par ailleurs, le verbe sfrou (démêler,
élucider, percer l'inconnu), employé sans complément, est consacré dans
le sens exclusif de dire ou réciter des vers, de la poésie, quel qu'en
soit le genre.
Le taqsit , à thème historique, était très
répandu dans le milieu tribal kabyle. Chaque confédération, chaque
tribu, parfois même chaque village avait son ou ses bardes, dont la
fonction consistait à composer des chants dans lesquels il glorifiait
les exploits du groupe, immortalisait les héros et stigmatisait les
lâches, ou se lamentait après une défaite et décrivait les horreurs de
la guerre, etc. Le poème pouvait être chanté, psalmodié ou tout
simplement récité. Des fragments sur la chute d'Alger en 1830 et sur la
lutte soutenue par les Kabyles durant tout le XIXe siècle pour
sauvegarder leur indépendance fournissent une idée de ce genre en voie
de disparition. Le soulèvement de 1871 en particulier inspira de
nombreux poètes, notamment Ismaïl Azikkiou, mort à la fin du siècle
dernier. Dans les vers qui suivent, il décrit un peuple vaincu, écrasé,
désemparé, une société dépossédée de tous ses biens, menacée de
désagrégation, ses hommes ayant renoncé, au nom d'un sauve-qui-peut
flétri par le poète, à la tradition de l'assistance mutuelle et de la
fraternité :
Ils ont semé la haine dans les villages ;
Nous l'avons engrangée, et il en reste encore ;
C'est comme l'abondante récolte d'un champ fraîchement incendié.
Quand l'impôt de guerre nous affola,
Nous jetâmes tout sur l'aire à battre,
Chacun renia son propre frère.
Le mauvais sujet eut la préférence ;
Le noble fut humilié.
Chaque jour apportait son lot de soucis ;
Mais personne ne s'ouvrait à personne.
Et pourtant les malheurs fondaient de toutes parts.
Terrible fut l'année 1871
Annoncée par le Livre [sacré] :
La justice s'évanouit ainsi que la vérité.
Il n'y a là ni « grossier sensualisme » ni « obscénités de bergers », auxquels certains voudraient réduire la poésie kabyle.
L'asfrou
ou poème lyrique est le genre le plus pratiqué. Le rythme de ses vers
ainsi que la distribution de ses rimes se retrouvent dans le long poème
à thème historique dont il semble descendre. Il ne s'en distingue que
par les thèmes et par la brièveté. Il est généralement composé de neuf
vers groupés par strophes de trois. Les deux premiers vers des trois
strophes, de même quantité syllabique, riment ensemble, tandis que les
troisièmes, plus courts, sont affectés d'une seconde rime.
Incontestablement, son vers, de cinq ou sept pieds, a quelque chose de
« soluble dans l'air », suivant l'expression de Verlaine. Il semble
convenir à une langue qui procède par juxtaposition et répugne à la
période, au style dépouillé du langage parlé, à une pensée qui
s'exprime tout naturellement par des traits vifs et courts. Certains on
vu dans le neuvain un signe de décadence de la poésie kabyle. La poésie
étant l'art de vouloir saisir la vérité en peu de mots, on peut penser
au contraire qu'il traduit une évolution heureuse. Ainsi, Si Mohand,
vieilli, atteint d'un mal incurable qui serait l'impuissance, saisi de
remords, trouve des accents émouvants pour résumer en neuf vers toute
sa vie passée et présente :
Mon cour se couvre de nuages,
De larmes il déborde
Au souvenir de mes épreuves.
Ma confession fait trembler les montagnes
Et rouvre les plaies de mon cour.
J'ai tout consacré aux plaisirs des filles,
Et, marqué au sceau d'un destin funeste,
Je n'eus point de chance.
Ah ! vivre seulement un jour de bonheur !
De larmes il déborde
Au souvenir de mes épreuves.
Ma confession fait trembler les montagnes
Et rouvre les plaies de mon cour.
J'ai tout consacré aux plaisirs des filles,
Et, marqué au sceau d'un destin funeste,
Je n'eus point de chance.
Ah ! vivre seulement un jour de bonheur !
El-Hossein,
contemporain du précédent, à l'aide d'une image simple et
progressivement développée, parvient à communiquer l'horreur de son
agonie :
Mon cour s'en va goutte à goutte
Comme une bougie
Emprisonnée dans une lanterne.
Elle brûle et se consume,
S'étiole dans la chaleur étouffante,
Et décline, lentement, lentement.
Bientôt le vide à sa place,
Sa lumière s'éteint,
Et ce sont les ténèbres.
Comme une bougie
Emprisonnée dans une lanterne.
Elle brûle et se consume,
S'étiole dans la chaleur étouffante,
Et décline, lentement, lentement.
Bientôt le vide à sa place,
Sa lumière s'éteint,
Et ce sont les ténèbres.
L'izli
est le poème léger et toujours chanté. Il n'a pas de forme fixe.
Généralement court, trois à six vers, rarement davantage, il est
fortement rythmé. À l'inverse des deux genres précédents auxquels
s'adonnent des artistes bien connus et fort honorés, il est toujours
anonyme, peut-être à cause de la verdeur de son langage qui l'apparente
à la chanson dite grivoise.
L'évolution du conte
À
l'exemple de tous les peuples, les Berbères ont leurs contes
merveilleux et leurs contes d'animaux. L'historien Ibn Khaldun fut
particulièrement frappé, au XIVe siècle, par l'abondance de récits
légendaires circulant parmi eux. Après en avoir résumé un, il conclut :
« De semblables récits sont en si grand nombre que si l'on s'était
donné la peine de les consigner on en aurait rempli des volumes. »
Certains de ces récits subsistent, mais, comme pour la poésie, les
Kabyles ne songèrent jamais avant le XIXe siècle à les transcrire. Plus
que la poésie, ils demeurent encore rivés au domaine de l'oral,
peut-être à cause de leurs fonctions, de leur évolution lente et des
interdits dont ils sont frappés. Les premiers contes kabyles transcrits
en caractères latins par W. Hodgson au début du siècle dernier n'ont
pas encore été édités. Il en est de même des trois cahiers de Contes
populaires de la Kabylie du Jurjura dont le père Rivière donna une
traduction partielle en 1882. En 1897, Leblanc de Prébois en publiait
quelques-uns accompagnés d'une traduction. Mais le grand mérite dans
cette entreprise de sauvetage revient incontestablement à Auguste
Mouliéras qui, entre 1893 et 1897, faisait paraître deux gros volumes
de textes kabyles sous le titre de Légendes et contes merveilleux de la
Grande Kabylie, dont Camille Lacoste a donné une traduction intégrale
en 1965. Depuis 1945, de nombreux contes kabyles ont été publiés dans
le Fichier de documentation berbère de Fort-National, que dirige le
père Dallet.
Le conte kabyle baigne dans une atmosphère de
culture orale ; il instruit et peut intervenir à tous les niveaux de
l'activité sociale. Il n'est pas rare, par exemple, qu'une assemblée de
Kabyles débute ou se termine par un épisode de conte. Même les contes
d'animaux, réputés pour leur gratuité, portent en eux le souci
moralisateur propre au caractère kabyle. Tous sont dits en une prose
dont la dimension esthétique n'est pas consciente. On ne peut pas nier
qu'il y ait eu dans le passé volonté de bien dire. Quand le récit est
transmis dans sa forme ancienne, ou reconstitué, il s'en dégage un net
souci de structure logique et la langue en est relevée sinon
recherchée, sans que cela nuise à l'une de ses qualités essentielles,
la spontanéité. Ces qualités sont sensibles dans les récits mis au goût
du jour depuis un peu plus d'un siècle. D'ailleurs, le conte, qui a
déjà subi des dégradations, semble engagé, bien que timidement, dans
une voie qui pourrait déboucher sur la naissance d'une prose
consciemment élaborée. Le mérite en revient à Bélaïd Aït Ali, dont les
pères Blancs ont publié, en 1964, Les Cahiers ou la Kabylie d'antan.
Dans une prose empruntée au conte, mais retravaillée et soumise à la
contrainte qu'impose la volonté de l'écrit littéraire, ce Kabyle de
culture française a raconté des histoires qui tiennent à la fois du
conte, du roman et de la confession, Déjà avant lui, mais avec moins de
talent, Belkassem Bensédira avait, à la fin du siècle dernier, écrit
des fables anciennes dans une prose littéraire. Ces deux tentatives
demeurent encore isolées, de même que celle de Boulifa qui, au début de
ce siècle, a composé un ouvrage en prose sur la Kabylie. La prose de
ces trois pionniers se situe à mi-chemin entre celle du conte,
dépouillée et concrète, et une prose moderne, imagée et plus
intellectuelle. La littérature
kabyle ne survivra que dans la
mesure où cette tendance s'affirme et se développe. L'assouplissement
de leur langue par la pratique permettra alors aux Kabyles d'accéder à
la culture à travers leur moyen d'expression naturel.
Source E U.
Et nous comptons sur vous tous et en particulier sur Boualem pour alimenter le topic .